J4 – Anne Pascale Patris

Petit théâtre de confinement 2

La pièce de théâtre « La Cerisaie » de Anton Tchekhov referme doucement une porte sur un monde agonisant, tandis qu’une autre s’entrouvre, par où pénètre, comme par effraction, l’aube d’une ère nouvelle.

La pièce est écrite juste avant la révolution Russe de 1905….

Anne Pascale Patris nous propose le début de sa création confinée de la pièce de théâtre « La cerisaie » avec les moyens confinés à sa disposition alors qu’elle vivait durant le 1er confinement 2020, une histoire personnelle dramatique quelque peu similaire qu’elle nous raconte ci-dessous.

Elle évoque le célèbre metteur en scène Giorgio Strehler :

« Mon métier consiste à raconter des histoires aux autres.
Il faut que je les raconte.
Je ne peux pas ne pas les raconter.
Je raconte des histoires des uns aux autres.
Ou bien je raconte mes propres histoires à moi-même ou aux autres.
Je les raconte sur une scène de bois où il y a d’autres êtres humains, au milieu d’objets et de lumières.
S’il n’y avait pas de scène en bois, je les raconterais par terre, sur une place, dans une rue, dans un coin de rue, sur un balcon, derrière une fenêtre.
S’il n’y avait pas d’êtres humains auprès de moi, je les raconterais avec des morceaux de bois, des bouts d’étoffe, du papier découpé, du fer-blanc, avec ce que le monde peut m’offrir.
S’il n’y avait rien, je les raconterais en parlant à haute voix.
Si je n’avais pas de voix, je parlerais avec mes mains, avec mes doigts.
Privé de mains et de doigts, je les raconterais avec le reste de mon corps.
Je raconterais muet, je raconterais immobile, je raconterais en tirant des ficelles, sur un écran, devant une rampe.
Je raconterais de toutes les façons possibles car l’important pour moi est de raconter les choses aux autres, à ceux qui écoutent. »

Arnaud NANO Méthivier et Pierre-Marie PEM Braye-Weppe, curateurs du Festival des Arts confinés.

 

« Au mois d’avril dernier, le covid s’est invité à la maison. D’une part comme tout à chacun avec un confinement imposé et d’autre part avec ce virus qui nous a tous collé au lit.
A ce moment-là, on n’en savait que très peu de cette maladie. Les informations donnaient le signal que le covid était égal à la mort et on se soignait au doliprane.
Entre deux accès de fièvre, dans un monde surréaliste sans odeur et sans bruit et sans vision d’avenir, la nécessité de poursuivre la création s’est imposée. Une fois encore, parvenir à se relever et créer. Seulement comment faire avec… Quoi ? Le vide autour de soi…
Je me suis souvenue du discours de Giorgio Strelher (ci-dessus).
Puisque je pensais que mon temps ici-bas se terminait, je me devais de tenter d’ aller vers cette pièce dont je rêvais depuis des années.
Délestée par l’urgence, des pas de budget, pas de comédiens, pas à la hauteur du poète, je ne saurais pas, pas de dates, pas de, pas de… il a fallu partir avec rien et bloquée chez soi.
Alors, avec nos téléphones portables, internet, des comédiens, des non comédiens m’ont suivi dans cette expérience étrange. Une fois les enregistrements fait, j’ai mixé le tout, ajouté musique et bruitages. Pour tous, ce lien a rompu l’isolement, les solitudes, gommé les inquiétudes quelques instants, fait rêver. Certains sont de Normandie, de la région parisienne, d’autres de Paris et une des voix vient même d’Ecosse.
Ensuite, en allant dans le grenier des jouets des enfants, j’ai pioché Barbie, Ken et leurs amis. J’ai repeints les visages.
Dans mon ancienne grange aménagée en petit lieu de création, j’ai bricolé un décor et pris des photos.
j’ai monté l’extrait de l’acte 1 de la Cerisaie que vous avez découvert au printemps.
Dans le même temps, à la fin du confinement, un chantier de contournement routier était en cours juste derrière mon lieu de création situé en pleine campagne. Les tractopelles martelaient le sol et le vacarme assourdissant des engins me marquera à vie. Du sable tombait des cintres dans la lumière des projecteurs. On aurait dit de l’or et cela recouvrait tout. Mes figurines personnages, bougeaient tombaient parfois tant le bâtiment bougeait bousculé par les coups des dents des engins.  J’ai terminé le montage dans ces conditions.
Je me suis posée, ensuite, la question de ce que je devais faire. J’avais le choix de repartir vers un projet d’un seul en scène ou bien… ou bien, puisque j’étais entrée dans cette Cerisaie de n’en ressortir qu’ après l’avoir entièrement visité.
Rester dans la Cerisaie, s’approcher de Tchekhov.
Je savais que cela allait m’isoler des plateaux, des représentations à venir, d’autres projets. Je savais que j’allais dans quelque chose qui n’aurait pas ou peu de visibilité. Mais j’avais enfin rendez-vous dans cette Cerisaie qui m’avait tant fait rêver. Alors, avec l’accord des partenaires en voix, j’ai entrepris de monter la Cerisaie dans sa totalité. Repartir du début, pousser plus loin les limites de l’exercice du printemps.  Si bien que depuis presque 7 mois je travaille les enregistrements. J’arrive à la fin et je peaufine. Bientôt, je construirai les décors pour mes figurines et prendrai les photos que je monterai en film. 
Et, la vie vous joue des tours parfois…
J’ai fait allusion plus haut, à ces travaux de contournement routier. Alors que j’abordais le montage audio de l’acte 3, (la vente de la Cerisaie), les tractopelles ont commencé à attaquer les racines de deux arbres centenaires bordant mon terrain. Les responsables du chantier ont tenté de me faire entendre que les arbres n’étaient pas chez moi, qu’ils gênaient, que le géomètre s’était trompé. J’ai alors accroché une échelle au tronc du frêne, attaché un tracteur autours du tout et je suis montée sur l’échelle et appelé la presse. J’ai reçu des menaces (oui, envers mes arbres et envers moi aussi – monde vrillé, vraiment) et je faisais,  le jour, le guet auprès du saule et du frêne Finalement, j’ai gagné cette partie là. Et juste dans le même temps, le soir, je m’enregistrais dans Lioubov de l’acte 3. Je sauvais mes arbres le jour et en parallèle, ma Lioubov perdait sa Cerisaie la nuit.
En écrivant ces mots, je suis encore abasourdie par ce grand écart qui m’a entrainé vers ce quoi je luttais de toute mes forces dans mon quotidien.
J’ignore qui a décidé du timing, mais il a été raccord.
Je devais raconter en deux lignes… En relisant, je ne sais pas ce que je dois retirer. Je voulais vous raconter, voilà, c’est chose faite.
J’en ai mis trois sur le site.
Merci pour votre main tendue.
Gardez espoir les artistes. Les temps nouveaux viendront. Les hommes auront besoin de mots pour exprimer ce qu’ils ont traversé. Des mots pour apaiser les maux.
Et qui saura mieux le faire que les artistes ?
Demain…
BON COURAGE !!
 
Anne Pascale Patris

En savoir plus sur Anne Pascale Patris : http://annepascalepatris.com/

 

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