Résidistance DVDV/EDCEE # 1

Épisode 1 – Arpenter le 05/04/2020

Épisode 1 – Arpenter le 05/04/2020

J’officialise ce soir ma résidistance, je pose mes valises, mon fourre-tout virtuel. J’ai fait un tour dans le parc. J’aime ce parc qui est déjà comme une réserve. Antoine, Nano et Pem m’ont laissé installer une yourte. Elle est là, à l’orée d’un bois, non loin d’un corps de ferme partiellement en ruine. Une seule nuit dans la yourte et déjà mille vies ont interféré en moi. Entre autre celle d’une petite algonquine née au Québec en 2064, à l’ombre de la Forêt Qui Meure. Tous ces grands pins blancs qui stagnent pour finalement s’éteindre les uns derrière les autres. Je dois expliquer à la petite que s’ils s’éteignent comme ça, à la fois c’est un drame et à la fois une chance pour eux parce que s’ils disparaissent ici c’est pour ressurgir ailleurs sur la planète d’une autre galaxie où on ne les intoxique pas. On leur laisser leur liberté d’arbre à part entière puisque là-bas, ils ont pu se fédérer en une magnifique république. On attend encore sur terre de la part des humains, la reconnaissance du droit des arbres à se constituer en république. On leur refuse ce droit. On en rend un magnifique, on en fait un être d’exception que l’on vénère pour en même temps partir en guerre contre tous les autres et en abattre des millions. Alors forcément ils sont entrés en dissidence, en résistance. Si je parviens encore à parler à la petite algonquine, du fin fond d’une pierre où je me suis laissé endormir, arbre pétrifié, le 13 mai 2017, c’est parce que son clan m’a autorisé à débarquer dans la Forêt Qui Meure en automne 2020. A y récupérer un de ces troncs mort sur pied et à le transfigurer en une sculpture ouverte, segmentée et évidée. A partir de ce vide, la petite Algonquine qui ne veut toujours pas que je lui donne un nom, pourra voir en glissant son œil à l’intérieur du fut segmenté et évidé, un point indéterminé de l’espace d’où les arbres expatriés lui envoient des messages qu’elle redistribue aux derniers arbres de la terre par un jeu de signes en réseau où ceux-ci lui font comprendre qu’ils se rétracteront tous jusqu’au dernier sous forme de vie unicellulaire pour laisser les hommes traverser la terre devenu un océan de sable entouré de mers sans vie. Des hommes et des femmes devenus châteaux de sable et de sel. Il faut avoir le cœur pur pour comprendre tout cela, le saisir et le retranscrire. Et la petite algonquine qui n’a toujours pas de nom a le cœur pur.

Ce soir, je suis rempli d’odeurs de rivières, de copeaux d’érable, de mélèze, de cyprès. Je suis un vide en mouvement qui expérimente un confinement en extérieur. Tout est fermé à des kilomètres à la ronde. Des milliers de kilomètres de murs entre les uns et les autres. L’art est passe-muraille. Je suis un artiste du réseau sauf que celui-ci a pris racine et forme dans mes forêts d’enfance et aussi dans ces champs à perte de vue. Un champ cela implique qu’une terre a été débarrassée de ses arbres. Entièrement essouchés, volatilisés. Des parcelles de terre, devenus des essarts devenus des hectares de cultures céréalières. Mon nom, Van de Velde, vient du néerlandais qui veut dire Duchamp. Un champ en état de friche. Je suis également un atome de vie vagabonde qui a su se délivrer du confinement dans lequel Aristote avait contraint notre monde pendant de longs siècles. Je suis un atome confiné dans le grand désordre d’une pensée en mouvement. Une pensée pour atterrir. Vivre nomade. Un champ en friche où germent déjà des myriades de forêts en cours, à venir.


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